On assiste aujourd’hui à une réelle prise de conscience des dangers de l’alimentation industrielle et notamment des additifs qu’elle contient.

Le CIRC, Centre International de Recherche sur le Cancer, a classé les charcuteries en catégorie 1 (risque certain) en raison des nitrates et nitrites utilisés pour leur fabrication et leur conservation.

De leur côté, 3 organisations, Foodwatch, Yuka et La Ligue contre le cancer, ont mis en ligne une pétition pour demander leur interdiction pure et simple.

Dans l’industrie agro-alimentaire, on considère en revanche que les nitrites jouent un rôle essentiel dans les charcuteries. En effet, ils empêcheraient le développement de bactéries très dangereuses pour l’homme, responsables du botulisme et de la salmonellose. La FICT, Fédération française des Industriels Charcutiers, Traiteurs, Transformateurs de viandes, a même créé un site internet (www.info-nitrites.fr) pour répondre aux questions des consommateurs.

Un député a, en vain, proposé de taxer les substances incriminées (amendement rejeté par l’Assemblée Nationale). Une mission d’information est actuellement en cours à l’Assemblée Nationale.

Mais qu’en est-il vraiment ?

Pourquoi les techniques de fabrication de la charcuterie se sont-elles transformées à ce point ?

Quels sont ces additifs ? A quoi servent-ils ? Quels dangers représentent-ils pour notre santé ?

Quelles sont les alternatives ? Existe-t-il d’autres solutions ?

En me basant sur mes connaissances, je me suis penchée sur toutes ces questions au cours des dernières semaines afin d’y voir un peu plus clair.

J’ai pu rencontrer d’anciens professionnels de la charcuterie qui m’ont aidée à analyser les évolutions de leur métier d’artisan charcutier et qui m’ont permis de consulter des ouvrages sur le sujet.

Je vous restitue ici le résultat de mes recherches ainsi que mes conclusions pour vous aider à mieux comprendre ce sujet d’actualité.

1- Avant les nitrites

Un peu d’histoire… de charcuterie

La charcuterie est l’art de travailler les viandes, en particulier celle du porc, pour les présenter sous les formes les plus diverses.

Méprisé par les Égyptiens qui le classifiaient comme viande impure, le porc fut réhabilité par les Grecs. Mais ce sont les Romains qui développèrent réellement l’art de la charcuterie.

Dans la cuisine romaine, la viande de porc était préparée de maintes manières et conservée en la mélangeant avec du sel, des épices et des aromates. Les hachis, sous forme de saucisses et de saucissons, avaient pour noms : farcimina, tobelli, tomacula, tomacina, etc.

La plupart de ces fabrications fut perpétuée en France jusqu’à la fin du moyen-âge mais le métier de charcutier était confondu avec celui de cuisinier-oyer. C’est seulement au XIVe siècle que deux catégories furent distinguées : celle des « rostisseurs » et celle des « chaircuitiers » (ceux qui cuisent la chair).

Les premiers statuts des charcutiers ont été promulgués par les lettres du prévôt de Paris en 1476, constituant leur métier en communauté. Les maîtres-charcutiers se réservaient ainsi le monopole de la préparation des viandes cuites et principalement du porc.

Les statuts insistaient spécialement sur le choix et la qualité des viandes, la propreté des ustensiles et des dressoirs, la bonne exécution des saucisses.

La vente de la viande crue et l’achat des bêtes sur pied étaient interdits aux charcutiers. Ils devaient se procurer la viande abattue chez les bouchers qu’ils devaient payer pour tuer les porcs.

Les nitrites dans la charcuterie

Ce n’est qu’en 1513 que Louis XII leur accorda la liberté du commerce des porcs vivants. Mais ils ne devaient pas s’approvisionner chez les particuliers dans un rayon de 20 lieues (environ 96 km) autour de Paris. Ils avaient l’obligation de se fournir sur les marchés de Paris ou aux foires de Saint-Ouen et de Sceaux.

Les charcutiers restèrent longtemps soumis à diverses inspections et n’obtinrent leur indépendance qu’en 1745 par les lettres de Louis XV, où tous les points d’administration sont prévus et réglés.

2- Apparition des nitrites

La conservation de la viande : salaison et saumures

Depuis sa sédentarisation, l’Homme a dû trouver des solutions pour conserver ses aliments.

La plus répandue et la plus ancienne consiste à utiliser du sel. On peut ainsi frotter les aliments avec du sel ou les enfouir dans une quantité de sel suffisante pour les recouvrir. On peut également utiliser une saumure (solution aqueuse sursaturée de sel) par immersion ou par injection.

Traditionnellement, les saumures étaient uniquement composées d’eau, de sel et, à la rigueur d’un peu de sucre et de salpêtre (récolté directement dans les caves…).

Avec le temps et l’évolution des méthodes de production, les saumures traditionnelles ont été remplacées et modifiées avec des conservateurs, des liants, des émulsionneurs… essentiellement par souci d’économie.

Evolution des pratiques

Voici un extrait d’un livre de « Pratique et technique en charcuterie », réservé aux professionnels et publié en 1966 :

Il faut bien se rendre compte, d’ailleurs, qu’en ce « bon temps jadis » le consommateur n’attachait aucune importance à la couleur de la salaison ; que le facteur temps n’avait pas sa valeur actuelle ; que le salage pouvait durer deux mois ou six mois sans inconvénients. On vivait quand même facilement et à chaque jour suffisait sa peine. Enfin les viandes n’étaient pas ce qu’elle sont maintenant, hélas ? avec l’alimentation forcée des porcs, l’alimentation très souvent mélangée de produits plus ou moins chimiques.

Les besoins de la clientèle et ses exigences, l’obligation pour le charcutier de faire tourner plus vite son capital, la qualité moins belle des viandes enfin, ont révolutionné l’art du saumurage et les principes d’antan.

La clientèle désire une salaison rose, qui conserve belle couleur ; le charcutier veut fabriquer plus vite, car ses frais, ses impôts augmentent tellement qu’il faut forcément que son capital et son travail rapportent davantage. Et puis, il faut obtenir de très bonnes, d’excellentes salaisons roses avec la viande que l’on a quelle qu’elle soit ?

C’est pour ces raisons qu’on a été amené à étudier de très près les phénomènes provoqués en salaison par le saumurage, à améliorer les formules de la saumure, en attachant une grande importance à ses divers éléments et à son degré (ou à son poids), afin de diriger les fermentations qui se produisent…

… Dès que la clientèle commença à devenir difficile, dès qu’elle exigea du charcutier des salaisons roses et conservant leur belle couleur,  il fallut modifier les vieilles recettes de saumure, qui se transmettaient de père en fils, et qui consistaient en réalité en eau additionnée de sel en plus ou moins grande quantité, et en plantes aromatiques.

Ces saumures, qui donnaient peut-être de bonnes salaisons, si l’on n’était pas pressé, avaient, comme nous l’avons déjà dit, l’inconvénient d’être peu stables et de communiquer aux produits un goût de sel, souvent trop prononcé. Elles avaient aussi un gros désavantage, préjudiciable à la belle présentation des produits ; ces saumures n’avaient aucune influence sur la couleur de la viande, laquelle prenait alors une teinte brune, peu appétissante, due à la transformation de l’hémoglobine en methémoglobine.

Les jambons étaient brun-gris, ils ne tenaient pas la coupe.

Evolution de la demande

Après l’abattage, la viande ternit. L’oxydation des globules rouges lui fait perdre sa belle couleur naturelle. C’est un processus normal… mais apparemment mal accepté par la clientèle.

En effectuant mes recherches, j’ai été sidérée de lire sur le site internet de la biocoop Lyon Bellecour qu’ils avaient essayé de commercialiser du jambon sans sels nitrités mais avaient dû y renoncer car leurs clients étaient trop attachés à la couleur rose du jambon.

Je ne peux pas m’empêcher de rappeler ici que le jambon cuit est classé en 2 catégories : le jambon cuit à l’os et le jambon de Paris ou jambon… blanc.

Bref.

Petit à petit les additifs se sont donc imposés dans notre alimentation et il devient très difficile de trouver des produits qui en sont exempts…

LES ADDITIFS ? MAIS POUR QUOI FAIRE ?

Les additifs sont des substances étrangères ajoutées volontairement à un aliment.

En Europe, ils sont désignés par la lettre E (comme Europe) suivie d’un numéro… pour éviter l’emploi de termes chimiques compliqués.

Les additifs sont utilisés pour prolonger la conservation des aliments et améliorer leur texture, leur couleur ou leur saveur. Ce sont les colorants, les conservateurs (anti-microbiens et anti-oxydants), les agents de texture (émulsifiants, stabilisants, gélifiants).

Les additifs conservateurs ne peuvent toutefois pas être considérés comme un mode de conservation à part entière. Ils complètent ou renforcent d’autres procédés de conservation (fumage, séchage, matière grasse, alcool…)

Le sel nitrité est, quant à lui, autorisé en France depuis 1965. Il était, à ce moment là, préconisé pour remplacer totalement ou en partie le sel composé (sel + salpêtre + sucre) afin d’accélérer le salage et fixer la couleur rosée de la viande dans un délai plus court. Cet additif est aujourd’hui en vente libre et n’importe qui peut se le procurer, même sur Amazon ! Il doit pourtant être utilisé avec beaucoup de précautions.

Les additifs au centre de la polémique actuelle sont :

  • le nitrite de potassium E 249
  • le nitrite de sodium E 250
  • le nitrate de sodium E 251
  • le nitrate de potassium E 252 (salpêtre)

QUELS DANGERS POUR NOTRE SANTE ?

Les nitrites

En 2015, le CIRC a classé  les viandes transformées, dont les charcuteries, en catégorie 1 (risque certain) et les viandes rouges* en catégorie 2 (risque probable).

Les processus de transformation peuvent aboutir à la formation de substances chimiques cancérogènes, tels que les composés N-nitrosés (CNO) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

D’après les études réalisées par le CIRC, une consommation de 50 g de charcuterie par jour augmente donc le risque de cancer colorectal de 18 %.

Vous pouvez retrouver la monographie du CIRC, volume 114 : Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée ici

Nitrites - nitrosaminesLa dangerosité des nitrites est connue depuis longtemps.

En 1954, le groupe de recherche de Barnes et Magee avait déjà révélé la toxicité des nitrosamines (ou composés N-nitrosés) formées à partir des nitrites.

D’après le Règlement (UE) N°1129/2011, les nitrites sont autorisés en tant qu’additifs alimentaires pour la conservation de certaines préparations à base de viandes, bien qu’ils puissent entraîner la formation de nitrosamines.

Les nitrates

Et les nitrates dans tout ça ?

Et bien, les nitrates en eux-mêmes ne sont pas aussi dangereux que les nitrites sauf que…

Au contact de la viande et de certaines bactéries, les nitrates se transforment en nitrites.

Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, je vous conseille un excellent article de Jérôme Santolini publié sur le site The Conversation France : Charcuterie : entre nitrate sans danger et nitrite toxique, comment s’y retrouver ?

*Pour le CIRC, le terme « viande rouge » désigne le tissu musculaire non transformé des mammifères (comme le bœuf, le veau, le porc, l’agneau, le mouton, le cheval ou la chèvre), même  haché ou congelé, et consommé généralement cuit. Le terme « produits carnés transformés (ou viande transformée) » fait référence à tout type de viande ayant été transformée par salaison, maturation, fermentation, fumaison ou d’autres procédés visant à en améliorer la saveur ou à en faciliter la conservation. La plupart des viandes transformées contiennent du porc ou du bœuf, mais elles peuvent également contenir d’autres viandes, telles que de la volaille, des abats (du foie par exemple) ou des sous-produits carnés comme le sang.

Peut-on se passer de ces additifs chimiques ?

Nous l’avons fait pendant des siècles, alors même que les réfrigérateurs et congélateurs n’existaient pas !

Le saindoux (graisse de porc) était beaucoup utilisé pour conserver les aliments. On le versait dans un pot dans lequel on plaçait les denrées précuites. On laissait le tout dans une pièce fraîche. La graisse figée pouvait ainsi conserver la nourriture pendant plusieurs mois.

Il est certain que notre mode de vie était différent. Le temps n’avait pas la même « valeur » qu’aujourd’hui. Les courses alimentaires étaient effectuées quotidiennement en fonction du besoin immédiat. On ne gaspillait pas. On ne faisait pas « le plein » au supermarché une fois par semaine ou une fois par mois !

Mais qu’importe. Car même aujourd’hui, il est possible de faire autrement.

Prenons l’exemple bien connu du jambon de Parme.

Jambon de Parme : sans nitrites

« Jambon de Parme » ou « Prosciutto di Parma » est une marque de qualité. Les jambons ne peuvent être commercialisés sous cette dénomination que s’ils respectent un cahier des charges très strict.

Aucun additif chimique n’est utilisé. Les jambons sont salés avec du sel et maturés dans une zone typique délimitée, à basse altitude (moins de 900 mètres).

Les contrôles portent sur plusieurs points :

  • les locaux
  • les techniques de fabrication
  • l’origine et le mode d’élevage des porcs (âge, nourriture)
  • les règles d’hygiène lors de l’abattage
  • la durée de fabrication

La durée de fabrication, de la mise au sel à la vente, ne peut pas être inférieure à 10 mois pour un jambon de 7 à 9 kg et à 12 mois pour un jambon de plus de 9 kg. 

***

Pour compléter ces informations

Je vous propose d’écouter une émission très intéressante (re)diffusée sur France Inter dans Grand bien vous fasse ! le 31 juillet 2019 : Vices et vertus de la charcuterie industrielle

Invité : Guillaume Coudray, auteur et réalisateur de films documentaires

Au téléphone : David Bazergue, Délégué Général de la FICT jusqu’en 2018 et Guillaume Bouissou, éleveur et charcutier en Aveyron

Reportage : Antoine Ly a rencontré Gilles Vérot, artisan charcutier à Paris

Vous pouvez retrouver l’émission diffusée en direct le 14 septembre 2017 en cliquant ici

 

Conclusion

Pour ma part, cela fait déjà longtemps que j’évite les aliments industriels et tous leurs additifs chimiques. Mes recherches pour la rédaction de cet article m’ont confortée dans cette décision. Je continuerai à privilégier le plus possible les circuits courts et les producteurs locaux que je connais et à qui je fais confiance.

Les nitrates sont naturellement présents dans certains aliments, en particulier dans les légumes. A faible dose, ils ne représentent pas de réel danger pour notre santé et pourraient même être bénéfiques pour le système cardio-vasculaire. Mais je ne pense pas qu’il soit judicieux d’en rajouter dans notre alimentation via les additifs chimiques.

Si vous optez, vous aussi, pour une nourriture sans ajout de nitrites, faites attention et lisez bien les étiquettes et les listes d’ingrédients. En effet, certaines charcuteries « sans nitrites » contiennent des bouillons de légumes, c’est à dire des nitrates !

Quant aux justifications de la FICT et des industriels agro-alimentaires dans l’utilisation de nitrites comme bactéricides, pour nous préserver de certaines maladies telles que le botulisme… elles me laissent tout de même un peu perplexe. Cela sous-entend-il que les conditions d’hygiène dans leurs locaux de fabrication ne sont pas aussi strictement respectées que dans ceux des producteurs de Jambon de Parme (qui, eux, n’en pas besoin) ? Mais ce n’est là qu’une interrogation personnelle… teintée d’humour quelque peu cynique !

Et vous alors ? Que choisissez-vous ? Avec ou sans nitrites ?

Pour aller plus loin

 

Vous pouvez vous procurer l’excellent ouvrage de Guillaume Coudray :

Cochonneries – Comment la charcuterie est devenue un poison

 

 

 

 

Si vous avez du temps (durée 2h15) vous pouvez également voir ou revoir le numéro de Cash Investigation diffusé en 2016 :

Industrie agro-alimentaire : business contre santé

N’oubliez pas, si vous le souhaitez, de signer la pétition Stop aux nitrites ajoutés dans notre alimentation (pas seulement dans la charcuterie !)

Enfin, n’hésitez pas à laisser vos commentaires, avis ou remarques ci dessous. Ici, tout le monde peut s’exprimer !

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Crédits photos :

Photo de couverture : Eva Pokorná de Pixabay 

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